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Risque climatique : notions essentielles pour les superviseurs et les régulateurs

Cet article de recherche personnelle fait partie de la série "Risque climatique et supervision bancaire". Il est suivi d'un autre sur les pistes pour la supervision bancaire en Afrique subsaharienne.
Photo by Matt Palmer on Unsplash

1. Concepts et approches de classification

Le risque financier lié au climat (ou risque climatique) a été largement abordé depuis quelques années dans la littérature spécialisée. Pour rappel, il peut être défini comme peut être défini comme un risque résultant du changement climatique et affectant les systèmes naturels et humains. Comme tous les risques, il inclut les notions de vulnérabilité et de perte potentielle.

En ce qui concerne le système bancaire et financier, certaines études s’inquiètent que le triptyque “risque de crédit, risque de marché, risque opérationnel” ne suffise bientôt plus à englober raisonnablement toutes les évolutions rapides dans l’architecture des risques bancaires, surtout depuis la matérialisation du risque climatique.

En termes de classification, la plupart des sources citent les risques physiques et les risques de transition. Pour les acteurs du système financier, certains courants de pensée évoquent également le risque de réputation lié à l’impact, sur l’image publique d’une banque, du financement de secteurs reconnus comme nocifs pour l’environnement (hydrocarbures, extraction de certains métaux, etc.).

2. Canaux de transmission vers la sphère financière

Selon la Banque des Règlements Internationaux (BRI), la transmission des risques climatiques vers la sphère financière peut être appréhendée soit sous l’angle microéconomique/macroéconomique, soit à la lumière des catégories traditionnelles des risques bancaires. Les deux perceptions permettent de prendre en compte l’ensemble des institutions financières, sans distinction de lieu géographique ou de sévérité des causes ou des impacts.

Les canaux de transmission microéconomiques comprennent les chaînes de causalité par lesquelles les facteurs de risque climatique affectent les contreparties individuelles des banques, entraînant potentiellement un risque financier lié au climat pour les banques et le système financier. Cela inclut les effets directs sur les banques elles-mêmes, découlant des impacts sur leurs opérations et leur capacité à se financer. Ces canaux concernent également les effets indirects sur les actifs financiers nominatifs détenus par les banques (obligations, dérivés de crédit et actions nominatives).

Les canaux de transmission macroéconomiques sont les mécanismes par lesquels le risque climatique affecte les facteurs macroéconomiques (productivité du travail, croissance économique, inflation, coût de matières premières et taux de change ou d’intérêt) et comment ceux-ci, à leur tour, peuvent avoir un impact sur les banques.

Sous un autre angle, le risque climatique peut aussi être perçu à l’aune des risques bancaires dits “traditionnels”, comme retracé dans le tableau suivant :

Risques bancaires “traditionnels” Matérialisation du risque climatique
Risque de crédit Augmentation du risque de crédit lorsque les facteurs de risque climatique réduisent la capacité des emprunteurs à rembourser et à assurer le service de la dette ou la capacité des banques à recouvrer intégralement la valeur d’un prêt en cas de défaut.
Risque de marché Réduction de la valeur des actifs financiers, y compris la possibilité de déclencher des ajustements de prix importants, soudains et négatifs lorsque le risque climatique n’est pas encore intégré dans les prix. Le risque climatique pourrait également entraîner une rupture des corrélations entre les actifs ou une modification de la liquidité du marché pour certains actifs, ce qui compromettrait les hypothèses de gestion des risques.
Risque opérationnel Augmentation du risque de conformité juridique et réglementaire associé aux investissements et aux entreprises sensibles au climat.
Risque de liquidité Accès potentiellement réduit des banques à des sources de financement stables, si les conditions du marché évoluent. Les facteurs de risque climatique peuvent amener les contreparties des banques à retirer des dépôts et des lignes de crédit.
Risque de réputation Augmentation du risque de réputation des banques en fonction de l’évolution du marché ou du sentiment des consommateurs.

Source : Banque des Règlements Internationaux

4. La notion de « Cygnes Verts”

Les risques physiques et de transition peuvent se matérialiser de différentes manières, et générer différents effets de contagion. Certains auteurs [Bolton et al. (2020)] avancent que ces phénomènes pourraient donner lieu à des événements climatiques suffisamment extrêmes pour déclencher une crise systémique, événements qualifiés de «Cygnes Verts».

Le concept de «Cygne Vert» fait référence à celui de «Cygne Noir» développé par le statisticien Nassim Nicholas Taleb en 2007. Selon cette théorie, on appelle cygne noir un certain événement imprévisible qui a une faible probabilité de se dérouler (appelé «événement rare» en théorie des probabilités) et qui, s’il se réalise, a des conséquences d’une portée considérable et exceptionnelle. Ainsi, les «Cygnes Noirs» ont trois caractéristiques :

  • ils sont inattendus au regard des événements passés ;
  • leur impact est considérable, voire extrême ;
  • des biais cognitifs individuels et collectifs rendent les agents économiques aveugles aux deux caractéristiques ci-dessus, si bien que les Cygnes Noirs ne sont rationalisés que par des cadres conceptuels développés ex post (rationalisation rétrospective).

Outre ces trois caractéristiques, les «Cygnes Verts» intègrent deux éléments supplémentaires :

  • une quasi-certitude par rapport à leur matérialisation ;
  • une incertitude quant aux modalités (manières, moments, lieux, ampleur) de cette survenance.

Dans une certaine mesure, la crise du Covid‐19 comportait toutes les caractéristiques d’un «Cygne Vert», dans la mesure où elle semble avoir des liens forts avec l’érosion de la biodiversité et soulève des questions systémiques. Le lien avec la biodiversité s’est clairement manifesté lorsque les confinements stricts de certains pays ont permis une importante restauration de certains paramètres environnementaux (nette amélioration de la qualité de l’air en Inde et en Chine, diminution drastique de la pollution à Venise en Italie, etc.).

La communauté scientifique s’accorde sur deux faits principaux :

  1. en continuant à augmenter les émissions de gaz à effet de serre, la société actuelle prend des «paris trop risqués» (Lenton et al., 2019), qui peuvent se retourner contre elle ;
  2. les «Cygnes Verts» pourraient s’avérer de nature encore plus extrême que les «Cygnes Noirs», car ils sont irréversibles et potentiellement civilisationnels, et demandent donc une réponse systémique (Ripple et al., 2020). Cela les distingue d’un simple choc dont on pourrait se remettre à plus ou moins long terme.

En résumé, la transmission et la contagion des risques climatiques vers les risques financiers peuvent être synthétisée comme ci-après :

Source : Bolton & al. (2020)

 


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